Rien qu’en raison de l’affiche, la Fédération Française de la Lose (FFL) va forcément adorer. L’Esprit Coubertin, en salle mercredi 8 mai 2024, tord le cou à tous les discours de haute performance des dirigeants sportifs français. Et on en rigole. A l’approche des Jeux de Paris 2024, nos états-majors projettent 50, 60 ou même 80 médailles pour la délégation tricolore. Las, après dix jours de compétition, en fait c’est un fiasco pour l’équipe de France : zéro médaille d’or. L’un des derniers espoirs est Paul Bosquet dit “le sheriff”. Ce tireur pratiquement anonyme, immature et pas très malin découvre l’esprit Coubertin des Jeux.
Jérémie Sein, qui signe son premier long métrage, n’hésite pas à décrire cette comédie comme un “anti-film” de sport. La célèbre expression du Baron “l’important est de participer” est pris au pied de la lettre. Au Club France c’est le Club Med et le village des athlètes est un lupanar où le seul cadeau de bienvenue est une boite de 50 préservatifs. De quoi déconcerter Paul machine à gagner. Il héritera comme voisin de chambre un nageur du Vanuatu plus concentré sur ses conquêtes sexuelles et ses joints que sur ses performances dans les bassins.
Pas de “Jeux olympiques”
Les habitués de l’Insep ou du pôle haute performances de l’Agence Nationale du Sport pourront être décontenancés par L’Esprit Coubertin. Mais il faut prendre le film comme une bonne blague potache où ce caractère bien français de la lose dans le sport ou d’autres univers est exploité à fond, notamment avec des chefs de délégation tricolore [les humoristes Laura Felpin et Grégoire Ludig] autant faux-culs que possible. L’Esprit Coubertin est une parenthèse légère avant les Jeux.
Pour rester dans les clous et ne pas s’attirer les foudres juridiques du Comité International Olympique, la production du film a banni dans les dialogues tous les termes sensibles, comme “Jeux olympiques” ou “Paris 2024”. De même, c’est un univers visuel totalement original qui a été recréé au Village : il n’y a aucune référence au “Look des Jeux” de Paris. Enfin, à noter, que parmi les “remerciements” publiés dans le générique du film, figurent le journaliste Patrick Montel, Lacoste et Adidas, dont les tenues aux trois bandes sont particulièrement visibles dans l’Esprit Coubertin.
Trois questions à Jérémie Sein, le réalisateur*
Comment avez-vous écrit le scénario ?
Jérémie Sein : « J’ai l’impression qu’on est dans une société qui a tendance à mépriser les sportifs. Que le sport soit expurgé de tous les travers de la société me paraît complètement illusoire. J’ai un souci de contemporain dans ce que j’écris : même si le film est un peu hors-temps, rien n’est apolitique, et j’ai envie de parler de vraies thématiques et de les enrober dans des vannes potaches. Si je veux m’attaquer à la lose à la française, il faut que je l’analyse sur ce qu’elle est : un moment où tout d’un coup, tous les projecteurs vont se braquer sur un athlète inconnu du grand public, une sorte de momentum chauvin où il faut faire nécessairement tant de médailles, avec une feuille de route ministérielle. (…) Ce qui m’intéressait dans la trajectoire du personnage principal (…), c’est que ce n’était pas un outsider justement mais bien un génie pour qui gagner est naturel. Comment on déconstruit ça ? Mon intérêt était dans ce renoncement final. J’ai l’impression que c’est une belle quête de se guérir de l’esprit de compétition. (…) Pendant tout le film, il croit que la marche à suivre c’est le dicton de son père qui est : “Si tu n’es pas premier, tu es dernier”. Y’a quelque chose comme ça dans le rapport au sport en France ».
Le registre de la comédie a été une évidence ?
J.S. : « Je crois que je n’aurais pas su écrire autre chose que cette comédie à la fois potache et anxieuse. Traiter par l’absurde ce qui me pose problème, c’est ma seule manière de pouvoir avoir un propos (…) il y a une petite blague cachée dans les bandeaux de JT où il y a une députée qu’on devine écologiste qui demande si on ne pourrait pas donner aussi des médailles aux perdants et que ce serait ça, la vraie révolution. Quand je me prends à être utopiste, je me dis : “L’esprit de compétition n’est-il pas un truc d’enfant de 8 ans, quoi ?”. Je crois que c’est ça, le vrai propos du film et ça ça dépasse le sport, et c’est très politique pour moi ».
Comment vous est venue l’idée que Paul puisse sauver la France lors de Paris 2024 ?
J.S. : « Il y a un truc un peu inhérent à chacun pendant les Jeux : on va regarder du ping-pong, se passionner pour un gars qu’on ne connaissait pas cinq minutes avant, et s’il perd on va être déçu et c’est terminé, on va l’oublier. C’était très important que le personnage soit issu d’un sport confidentiel et d’un sport qu’on ne considère pas intuitivement comme un sport olympique. (…) En repérage, quand j’ai vu le tir de vitesse olympique, je me suis rendu compte de la plasticité, du côté cinématographique de la discipline. (…) On retombe sur un code esthétique proche du duel de western. (…) C’est entre le musicien virtuose, dans la gestuelle, la concentration et la pulsion via la caméra qui est chez moi le moteur de tout. Je crois que je pars toujours d’un désir visuel ».
L’esprit Coubertin, un film de Jérémie Sein. Production : Avenue B Productions. 1h18. Sortie en France mercredi 8 mai 2024
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(*) Extraits du dossier de presse de L’esprit Coubertin.