Le titre est un poil pompeux : “Éclaireur”. En fait, j’ai eu l’immense chance d’être un tout petit maillon des Jeux olympiques, un relayeur de la torche et porteur de la flamme olympique sur 200 mètres. Cet incroyable honneur m’a été octroyé par le Comité d’organisation de Paris 2024. Pour l’obtenir, il m’a fallu tout de même expliquer pourquoi, selon moi, je méritais personnellement d’être un de ces rares élus, de ces 10 000 privilégiés du relais olympique. Mes trois décennies de journaliste dans l’univers du sport les auront donc convaincu.
Je reconnais être un très grand chanceux. Et, du coup, je me rends compte maintenant ne pas avoir profité de ce moment de grâce pour tenter ma chance au loto. D’autant que les équipes de Paris 2024 m’ont également laissé l’opportunité de choisir ma ville de célébration. Paris et l’Ile-de-France étant préemptés, notamment par les invités des partenaires olympiques, mon choix tomba sur Chantilly, terre d’entrainement de mes années cyclisme. Il y a quelques temps et kilos en moins.
Une poignée de mails et de contrôles administratifs plus tard, me voici officiellement désigné “éclaireur”. Un premier bonheur. Cette flamme olympique je l’ai vu s’allumer à Olympie, en Grèce, le 16 avril dernier, puis arriver majestueusement à bord du Belem à Marseille, débarquée au Vieux Port sur la terre ferme par Florian Manaudou. Ensuite elle est partie parcourir la France et les Océans, visiter les sommets et les fonds marins. Pour arriver, donc, ce jeudi 18 juillet dans l’Oise, et Chantilly.
Numéro E041
Convocation à 9h40 à l’Hippodrome. Café, croissants, Coca-cola et vue sur le terrain du Prix de Diane : le panorama offert pour l’accueil de la vingtaine de relayeurs de mon segment est plutôt agréable. En plus, le soleil est de la partie. Curieusement, personne n’est en retard. A l’entrée, sur une large table sont posées nos tenues officielles : blanche immaculée, fabrication Decathlon en décembre 2023 Made in Vietnam. Notre numéro de relais est collé sur le cœur. Le mien sera E041. Du coup, je vais saluer E040, c’est-à-dire François, et E042, qui est Pascal.
Les équipes du relais, notamment de l’agence Keneo, nous mettent à l’aise en attendant l’heure du départ. Dehors, nous apercevons déjà le public arriver sur le parcours. Chacun imagine ses proches s’installer au point du relais symbolisé par un petit panneau à notre numéro. Suit un brief, rapide, sur l’historique de la flamme olympique, puis, un peu plus détaillé, sur la logistique de notre relais. « Prenez votre temps, trottinez ou marchez… mais si l’on est un peu en retard on vous demandera d’accélérer. Un peu ».
Encore une heure avant de vivre notre moment de gloire. C’est l’heure des confidences. Notre gentille organisatrice nous fait assoir en cercle. Chacun raconte rapidement pourquoi il est là. Il y a quelques représentants de partenaires, deux athlètes handisport. L’un est candidat pour le para-escalade des Jeux de Los Angeles 2028. Il y a aussi des locaux, dont Jimmy, néo-zélandais vivant à Chantilly depuis plusieurs années. Appelé la veille, il remplace in extremis une absence de dernière minute. En vacances en Normandie il n’a pas hésité à faire l’aller-retour pour vivre ce moment magique.
Débout, à l’arrière, Isabelle Wojtowiez, Maire de Chantilly assiste aux préparations et écoute avec attention les présentations de ceux qui dans quelques minutes seront les héros éphémères de sa cité. Depuis l’hippodrome, le parcours traversera le centre-ville pour se diriger ensuite vers le château point final et majestueux de ce périple olympique. Il ne reste que quelques minutes. La torche présente dans la salle passe de main en main. Chacun immortalise ce moment. Accompagné de Madame la Maire. Ou pas.
A travers la foule
Direction le bus. Le premier relayeur, Yves Bienaimé, 88 ans et créateur du Musée du Cheval, ouvre le bal, à cheval. « Je monte toujours tous les jours,» me confie t-il. Lui se dirige vers l’hippodrome. Nous, nous montons dans le mini-bus du constructeur turc Otokar, marque avec laquelle collabore Toyota, partenaire mondial des Jeux olympiques. J’étais étonné que le logo ne soit pas masquée et du coup je me suis renseigné. On se refait pas. Le véhicule est aux couleurs des Jeux, du relais avec une phryge comme décoration.
A l’entrée, sont disposées trois caisses en bois. A l’intérieur se dressent nos torches. Le convoi s’ébranle. Notre bus est en tête de cortège. Devant nous deux motards de la police ouvrent la route. Nous suivons au pas un véhicule de l’organisation chargé d’indiquer à Luc, notre chauffeur, les points de relais. Lui a aussi les yeux rivés sur l’écran de son GPS où des ronds rouge matérialisent ces rendez-vous. A chaque arrêt descend un éclaireur. « Aude… Thierry… Louise…» Chacun est appelé et sort du bus sous nos applaudissements. Le bus poursuit, très lentement, sa route à travers la foule, d’un point rouge à un autre.
Le point E041 arrive. C’est mon tour. « Bruno…» Les quatre relayeurs restants m’applaudissent. On me confie la torche n°597. Je descends du bus mon précieux objet doré en main. « Surtout, ne la lâche pas,» me lance-t-on comme dernier conseil. Mon relais est fixé au 28 rue du Connétable. C’est juste à la sortie des jardins du Musée du Cheval devant une grand portail en fer. A l’arrière plan, dans le jardin, se dresse la statue d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale sur son cheval. Il est 12h40
Je n’ai pas le temps de profiter du paysage. Le public réclame des photos. Pour être franc, ils paraissent bien plus intéressés par ma belle torche que par moi. Je me plie bien volontiers, et avec une grande joie, à ce sympathique exercice. Les selfies se multiplient. Aux yeux du public, cet objet matérialise les Jeux de Paris 2024. Ce sera sans doute pour eux le seul élément concret et physique de cet extraordinaire événement. Derrière les barrières, ma fille met l’ambiance. Les gens sourient et l’atmosphère est sympathique. Ca fait du bien.
12h46 : je suis le centre du monde
Déjà arrivent les chars publicitaires ouvrant le convoi : Coca-Cola, Fuse Tea, puis Banque Populaire et Caisse d’Epargne. Ils annonce la “bulle”. A côté de moi un gardien de la flamme charge ma torche d’une cartouche de gaz. Deux motards de la police arrivent, et François, “E040”, suit. Il est escorté par seize gendarmes à pied : huit de chaque coté. Il s’arrête. J’entre dans la bulle de sécurité. Un check et le “toch kiss”. Mon flambeau s’embrasse.
12h46 : je porte le feu olympique ! C’est celui que j’ai vu jaillir à Olympie il y a presque trois mois jour pour jour. C’est mon tour. Ma mission : faire avancer cette flamme sacrée vers Paris où le 26 juillet elle embrasera la vasque olympique lors de la cérémonie d’ouverture sur la Seine devant des milliards de téléspectateurs. Quelle responsabilité.
La torche olympique fermement tenue dans la main gauche je m’élance en agitant un rameau d’olivier, autre symbole olympique, dans la main droite. Un don, la veille, du restaurant italien de mon quartier, “Les Cailloux”. Je trottine. Pas trop vite quand même. Je savoure avec émotion cet instant. Les secondes deviennent des minutes. J’élève la torche le plus en haut possible afin que tous puissent voir le feu olympique. Je me sens aussi le devoir de le faire pour partager ce moment et faire honneur à à l’olympisme, son histoire et ses valeurs. J’interpelle le public : « Ca va Chantilly ?» Un reste de mes années DJ (amateur). Le bonheur est total.
L’arche de la Porte Saint-Denis se rapproche. Déjà. Elle marque la fin de mon relais. Pascal “E042” est là. Il m’attend. Un check, le “Torch Kiss”. Le relais est passé. Désormais c’est lui qui est investi de la mission. C’est maintenant son moment de gloire. Il y en a eu plus de 8 000 avant nous. Repoussé sur le bord de la route je lui laisse la lumière et le vois partir. Il a maintenant la responsabilité du feu olympique. On m’enlève ma torche. Je remonte dans le bus pour y retrouver les relayeurs précédents. C’est fini. J’ai été éclaireur. Un très modeste élément des Jeux olympiques de Paris 2024.
Bruno Fraioli, éclaireur E041 à Chantilly (Oise) jeudi 18 juillet 2024
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