La relation journalistes-clubs de football en assises

Inconciliables ? Pas forcément. Ce mercredi 2 mai 2023, les 1res Assises des Médias et du Football professionnel se sont tenues à Lens (Pas-de-Calais) dans les espaces hospitalité du stade Bollaert, fief des “Sang-et-Or”. Un colloque qui a pris la forme d’un dialogue entre deux mondes qui se tournaient le dos : les clubs de football, d’un coté, et les journalistes, de l’autre coté. Lancée par l’Union des journalistes de sport en France (UJSF), l’initiative s’inscrit dans la perspective de la renégociation, en 2024, de la convention liant le syndicat à la Ligue de football professionnel (LFP), organe représentative des clubs.

Le chemin parait long et ardu tant les divergences de points de vues sont nombreuses. « La pratique lors des jours de match nous convient plutôt bien, a expliqué en ouverture Vincent Duluc, Grand reporter à L’Equipe et président de l’UJSF. Ce qui est problématique, c’est la couverture en semaine. Nous n’avons plus aucun contact avec les joueurs. Du coup, il devient impossible de raconter l’histoire ou le feuilleton. La proximité que nous pouvions avoir est perdue. Nous sommes devant une impasse, dans laquelle nous n’entrerons pas ».

La rupture de confiance entre les journalistes et les clubs de football est réelle. L’UJSF évoque un repli sur soi des clubs. « Aujourd’hui, c’est surtout que tout est compliqué, s’est défendu Nicolas Parent, responsable de la communication à Lille (LOSC). Les joueurs sont très sollicités, par les médias mais aussi les opérations de marketing. Il faut constamment négocier avec eux ». En parallèle, le nombre de journalistes et de titres s’est multiplié sans compter les médias internes des clubs, gros créateurs de contenus en direction des fans.

“On subit les conférences de presse”

Conséquence : les “points de contacts” avec les footballeurs se limitent, pour les journalistes, aux conférences de presse ou aux zones mixtes… souvent boudées par les joueurs. Au final, la parole officielle des clubs ne se résumerait ainsi qu’à quelques porte-paroles : principalement l’entraîneur. Au Paris Saint-Germain (PSG), Christophe Galtier aurait déjà cumulé plus de 500 interventions depuis le début de la saison. « C’est le seul visage incarnant le club, a regretté Dominique Sévérac, Grand reporter au Parisien. Forcément, il lui arrive de dire des bêtises, comme pour cette histoire de “chars à voile” ».

Mais, même la conférence de presse est critiquée. « On s’attend toujours à la question piège, » a lancé Jean-Louis Leca, le gardien de but du RC Lens. « Les conférences de presse, on les subit, a renchéri Benjamin Guthleben, directeur marketing et communication du RC Strasbourg. Ce devrait être un moment d’échange, et on tombe souvent dans les polémiques ». Paul Le Guen, ancien joueur et entraineur, a confié que finalement, à l’époque, « il était ennuyeux en conférence de presse », parce que « c’était une posture ».

L’UJSF a fait remarquer que la diffusion en direct des conférences de presse pouvait justement alimenter les polémiques à cause des commentaires sur les réseaux sociaux. Jérôme Cazadieu, directeur des rédactions de L’Equipe, a, quant à lui, estimé que comme c’étaient ses journalistes avec leurs questions qui entretenaient l’audience des conférences de presse, il fallait donc les payer… De l’ironie. « Moins on a accès à l’information, plus on va aller la chercher ailleurs, » a prévenu Dominique Sévérac.

“Passer par l’agent”

Et le meilleur moyen pour détourner le service communication d’un club est l’agent du joueur. Là encore, tout se fait en contrôle et négociation. « Il faut faire notre mea-culpa aussi, a lâché Vincent Duluc. En période de transfert, quelques fois on peut croire que les agents sont passés rédacteurs en chef ». Une crainte partagée par Jérôme Cazadieu : « Les jeunes journalistes aujourd’hui connaissent mieux l’agent du joueur, son frère, sa famille ou même son vendeur de voiture, que le joueur lui-même, » s’est-il désolé.

Les journalistes aimeraient que les clubs instaurent des règles plus strictes quant aux obligations avec les les médias. Mais attention aussi à ne pas aller trop loin prévient Benjamin Parrot, Directeur communication, marketing et revenus du RC Lens : « Un joueur, plus on le contraint, plus il se ferme : il ne peut pas tout accepter ». L’une des solutions pour réinstaurer un dialogue entre footballeurs et journalistes peut aussi passer par l’éducation aux médias, notamment dans les Centres de formation. « Beaucoup de jeunes ne lisent pas la presse écrite, et seules les informations négatives leurs sont rapportées, » a indiqué Jimmy Cabot, milieu du RC Lens.

L’événement, que les communicants du Paris Saint-Germain ont annulé en dernière minute en raison de “l’affaire Messi”, a eu le mérite d’instaurer une écoute des différentes parties. « Il y a un fossé et de la défiance, a constaté Jérôme Belaygue, le directeur de la communication de la LFP. Mais le football a aussi besoin de valoriser ses actions. Il y a plein d’opportunités pour réunir médias et clubs ». Sur le parking jouxtant le stade Bollaert des tracteurs étaient exposés dans le cadre d’une opération de communication d’une marque. Des machines agricoles chargées de labourer un terrain afin de faire renaitre les cultures. Une belle allégorie pour ces assises.

Bruno Fraioli, à Lens,
© SportBusiness.Club Mai 2023