Drive to Survive, The Last Dance, This Is Football… jamais les documentaires sportifs n’ont été aussi populaires. Un succès porté par des séries documentaires particulièrement immersives. Mais, cette évolution vers la narration s’est réalisée au dépend des aspects historiques et sociétaux. De quoi transformer l’écosystème car dorénavant, se posent d’autres contraintes, comme l’accès aux images, aux athlètes et surtout leurs coûts. Des problématiques longuement débattues durant le Festival du documentaire sportif de Deauville (Calvados) qui se tient du 3 au 5 avril 2024.
« Ce qui était vu comme quelque chose de libre et gratuit auparavant, est vu aujourd’hui comme une marchandise, » expliquait Christopher Mcloughlin, directeur adjoint de l’unité documentaire du groupe Canal+ lors d’une table-ronde. Lors d’un autre débat, Eric Hannezo, dirigeant de Black Dynamite Production avec la série “Champion(s)” donnait une idée de ce que cela pouvait représenter : « Les archives sont de plus en plus chères aujourd’hui, cela peut représenter 20 à 40% du budget final, » confiait-il. Et cela varie selon la portée des images utilisées. Myriam Weil, productrice chez Fédération Studios, parlait ainsi de sa difficulté pour réaliser un documentaire en France sur le basket avec un accès aux images de la NBA.
Les plateformes mondiales comme Netflix auraient plus de facilités à réaliser de grands documentaires grâce à leur assise internationale. Un constat partagé par Antoine Benneteau. Le réalisateur de “Nadal – Djokovic, duel à Roland-Garros” expliquait la difficulté de son travail de réaliser un documentaire sur ces deux champions du tennis… sans leur participation. Il a eu recours à beaucoup d’images d’archives et de témoignages de personnalités. Une grande partie provient de la télé serbe, de vidéos personnelles, et de Roland Garros, ce qui peut aussi représenter un coût important. « Ça a donné une raison supplémentaire de choisir Prime Vidéo », a précisé le réalisateur, bien que l’offre d’Amazon n’était pas encore diffuseur officiel de Roland Garros.
Pas de rémunération pour les sportifs
Au coût général de plus en plus élevé s’ajoute une stratification des droits de plus en plus compliquée dans le sport. Les ayant droits sont nombreux ce qui complexifie l’accès aux images. « Il faut être de plus en plus armé et accompagné de juristes ou avocats, pour évoluer dans cet environnement aujourd’hui », affirmait Myriam Weil. La productrice prenait pour exemple, un documentaire sur la coupe du monde de football où même pour avoir des images “inside” dans les bus il fallait passer par la FIFA.
Et il y a l’athlète lui-même. La plupart des sportifs n’ont pas vraiment de droit de regard sur le résultat final. Et même si les relations entre eux et les équipes de production sont parfaitement contractualisées, elles ne sont pas forcément rémunérées. « On ne paye pas les contributeurs à la différence de la fiction, » a notifié Myriam Weil. Parfois, les motivations vont au-delà de l’argent. Teddy Riner et Kevin Mayer n’ont pas été rémunérés dans leur propre documentaire. « Pour Teddy, c’était surtout une question d’héritage qu’il pouvait laisser à ses proches, il voulait que ses enfants puissent comprendre sa carrière, a expliqué Laurence Dacoury. Pour Kevin, c’était encore autre chose : il voulait que les gens comprennent qui il était en dehors du sport et de la vision de râleur qu’il pouvait avoir à la télé ».
Une vision à contrario de la culture anglo-saxonne où il est impensable de réaliser un documentaire sur un athlète sans le rémunérer. Pour eux, avoir accès aux droits et aux secrets de la personne nécessite une rémunération. C’est d’ailleurs une nouvelle tendance amenée entre autre par Netflix. « Dans certains cas, on ne peut pas passer outre », a avoué Christopher Mcloughlin sur cette question de la rémunération de certains athlètes. Selon lui, l’important est surtout d’être transparent et pédagogue sur le budget d’un documentaire sportif pour qu’ils se rendre réellement compte des couts.
Matthieu Araguas, à Deauville
© SportBusiness.Club Avril 2024