Teahupoo, le spot polynésien choisi pour les épreuves de surf des Jeux de 2024 de Paris, ne s’offre pas au premier venu: accès au village, difficultés de la vague, aménagement du site… tout concourt à faire de ce lieu un mythe olympique. D’abord il faut s’y rendre ! Une fois accompli les vingt heures d’avion depuis la métropole, il faut encore quitter Papeete, traverser les zones rurales de Tahiti, atteindre la presqu’île et aller jusqu’au bout de la route. Tout au bout, jusqu’au “PK0”, le point kilométrique zéro.
Là, au bout de près de deux heures, la route s’arrête juste avant une rivière. Une sculpture de vague et un longboard dressé sur un petit rond-point se prêtent aux photos des touristes. Au-delà, encore quelques fares, ces petites maisons locales, simples, décorées de paréos et de colliers de coquillages suspendus, nichées dans une dense forêt tropicale. Seule une passerelle piétonne surplombe la rivière: les habitants ne veulent pas de pont, même si la “zone vie” des surfeurs doit être installée juste après, pour les Jeux olympiques.
« Ils pourront toujours traverser en 4×4, comme nous, sauf quand il pleut beaucoup et que l’eau monte, » glisse Melba Aurentz, la gérante du snack PK0, où Kelly Slater, onze fois champion du monde, aime déguster un poisson cru. Teahupoo, c’est un village, un littoral sauvage et une vague de renommée mondiale, mais c’est surtout un mode de vie traditionnel que les habitants souhaitent conserver. Même avec la perspective des Jeux, Teahupoo tient à rester Teahupoo, avec une empreinte minimale de l’homme sur la nature.
L’eau turquoise et les coraux en dessous
La vague est là, juste en face, à quelques centaines de mètres. Vu d’ici, le joli rouleau paraît inoffensif. Mais Teahupoo signifie “têtes coupées” en tahitien. Le nom ne vient pas de la vague elle-même, mais d’une ancestrale tradition du village. « Aux temps anciens, quand on se baignait ou qu’on pêchait pendant le rahui, la période interdite, on se faisait couper la tête, et un mur de crânes était exposé le long du chemin, » raconte Milton Parker, 48 ans, qui accueille des surfeurs dans sa pension. La vague elle-même est appelée “Hava’e”, mais le nom Teahupoo contribue au mythe et le récif a déjà fendu quelques crânes de surfeurs téméraires.
« Surfer cette vague, c’est prendre des risques, parce qu’elle creuse sur le récif et le risque de le toucher est important, » explique Kauli Vaast, l’un des meilleurs espoirs tahitiens, qui compte bien se qualifier pour les Jeux. Il dit ressentir le Mana, cette force spirituelle venue des ancêtres et des éléments. « Quand tu surfes cette vague, tu vois l’eau turquoise et les coraux juste en dessous, les personnes heureuses sur les bateaux, les montagnes et le lever du soleil dans le tube, pile en face de toi: la perfection, » poursuit-il.
Kauli Vaast et les meilleurs locaux ont déjà surfé Teahupoo sur des hauteurs de plus de dix mètres. Il faut alors être tracté par un jet-ski pour prendre cette vague puissante. Les conditions idéales, en compétition, se situent plutôt autour de trois ou quatre mètres. Et c’est ce qu’espèrent trouver les surfeurs du circuit mondial. Kauli Vaast, mais aussi Michel Bourez, invité, ou encore Johanne Defay et Vahine Fierro du côté des femmes. Tous ont participé au Tahiti Pro, dernière étape de la saison avant les finales en septembre 2022.
Des accréditations pour les bateaux
Pour apprécier le spectacle, il faut venir en bateau et le pilotage dans cette zone exiguë est tout un art. « Il peut y avoir jusqu’à vingt bateaux sur le spot, en comptant les bateaux médias, c’est grand maximum 200 personnes, explique Milton Parker, lui-même pilote. On ne peut se mettre qu’à un endroit, entre deux vagues dans un espace de 30 mètres, sinon on peut se faire retourner ». Ce qui est déjà arrivé.
Le ministre polynésien des Sports, Naea Bennett, estime que seul un système d’accréditations permettra d’éviter les embouteillages, à la fois sur l’eau et sur l’unique route qui mène au village. « Ce serait trop bête que les locaux ne puissent pas aller voir, » s’inquiète Niré Rochette, une serveuse de 42 ans dont la famille pêche depuis toujours près de Teahupoo. Comme beaucoup d’habitants, elle craint surtout que son village soit “dénaturé” par les constructions.
Pour éviter ces aménagements en vue des Jeux olympiques, les organisateurs devraient être logés chez l’habitant et les sportifs dans un hôtel à reconstruire, à 13 kilomètres du spot, voire sur un bateau de croisière, si les travaux de réfection ne sont pas terminés. « Et pour les travaux à Teahupoo, c’est vrai qu’on peut avoir quelques craintes, mais pour le moment rien n’a été fait, donc on ne s’inquiète pas, » sourit Kauli Vaast. (AFP)
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