Sport et précarités : quelles solutions ?

Le sport peut être un outil d’aide et de lutte contre certaines précarités. Cette question était au centre du colloque intitulé “Sport et précarités” organisé jeudi 21 mars 2024 à Paris, à la Maison du Sport Français, dans le 13e arrondissement. L’événement était organisé par l’association Le Sport a du Cœur dont l’objectif est de favoriser l’accès au sport des personnes vulnérables. Cela passe par le financement de licences dans des clubs et en mettant en place des actions avec des associations de terrain.

« Le sport est un outil pour combattre la précarité par l’insertion et l’épanouissement social en mobilisant les plus grands champions. Nous sommes persuadés que le sport a un pouvoir extraordinaire de passerelle sociale et de lien social pour se reconstruire et retrouver de l’épanouissement personnel, de la confiance en soi », a exposé en introduction Benoît Eycken, président du Sport a du Cœur.

Durant l’après-midi, plusieurs associations ont partagé leurs expériences aux côtés d’éducateurs sportifs, de médecins, de sociologues et de représentants des pouvoirs publics et de fédérations sportives. Tous étaient réunis pour débattre des enjeux du socio-sport comme “vecteur de changement” et construire le futur du “socio-sport” afin de lutter contre la précarité.

Le colloque s’est articulé autour de quatre thématiques animées par Thierry Poiraud, médecin du sport et membre du Sport a du Cœur avec l’intervention exceptionnelle de Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix 2006.  « Nous sommes un pays [le Bangladesh] assez éloigné du sport mais qui aime les grands événements sportifs comme la Coupe du monde de football. Le sport est un spectacle qui rassemble toutes les classes sociales partout dans le monde et procure aux spectateurs des émotions et des sentiments divers. Mais ce qui est important, c’est l’héritage qu’il peut apporter sur le plan social aux populations dans leur vie quotidienne,» a-t-il déclaré 

Une approche des précarités 

Avant de débattre sur le sport et les précarités, il a d’abord été question de déterminer ce qu’on met derrière le mot précarité(s) ? Autant la pauvreté se définit par des données quantitatives relatives au seuil de pauvreté (60% du revenu média) selon l’INSEE. Autant les précarités vont au-delà du seul critère économique. Elles regroupent des situations diverses et variées. « La vulnérabilité et la précarité décrivent tout un continuum de situations (…). Ces deux termes permettent de comprendre et considérer l’enchevêtrement de la santé, de la filiation sociale au sein d’institutions scolaires, professionnelles, de quartier… et la dimension économique », a exposé le sociologue François Le Yondre. 

En première ligne, les associations qui étudient leurs publics et constatent une forte augmentation de la précarité. Fort d’un baromètre réalisé avec l’IPSOS, le Secours Populaire constate une hausse des personnes aidées, plus 10% en 2022 par rapport à 2021 et se poursuit en 2023-2024. « La situation de vulnérabilité et de précarité augmente. L’augmentation de publics variés (personnes seules, de moins de 18 ans…) oblige les bénévoles à s’adapter à de nouvelles pratiques de solidarité en fonction », a indiqué Christian Lampin, secrétaire général du Secours populaire. 

L’association observe également une hausse (+2% par an) des personnes (32% aujourd’hui) qui rencontrent des difficultés pour accéder à une pratique sportive. « Nous sommes généralistes de la solidarité, nous proposons un certain nombre d’activités (…), le sport a une place de choix. 30 000 personnes ont été accompagnées sur une activité l’an dernier », a ajouté Christian Lampin. 

Même constat à la Croix Rouge. « Tous les trimestres, ce sont 30% de nouveaux arrivants qui ont besoin d’être accompagnés (…). La précarité est multifacette, en termes de compétences pour s’exprimer, de mobilité, relationnel et d’isolement social », a exposé Charlotte Guiffard, directrice de l’inclusion de la Croix Rouge qui commence à se tourner vers le sport, par son engagement avec les Jeux Paris 2024. 

« Nous sommes convaincus que le sport fait partie des éléments nécessaires à la résilience (…). Plein d’initiatives commencent à fleurir dans notre réseau, en termes de recherche de financement pour équiper nos établissements, de fans zones dans les Ehpad, des olympiades, des journées de cohésion… Ces actions vont être l’occasion d’initier cette dimension de cohésion autour de la solidarité sportive », a conclu Charlotte Guiffard.     

Des bénéfices individuels du socio-sport

La preuve par l’exemple pour montrer comment le socio-sport contribue au bien-être physique, psychologique et l’insertion sociale lors de ce deuxième débat reposait sur des témoignages d’associations engagées sur le terrain auprès de profils variés (Sdf, femmes battues, personnes désocialisées…). Rebonds, par exemple, travaille sur le développement des compétences psycho-sociales à travers son projet Insertion rugby. Des jeunes de quartiers (un tiers des filles) sont repérés et intégrés dans un club rugby partenaire. Et, ça marche ! 

Toujours dans le rugby, Drop de Béton qui a commencé par des actions ponctuelles dans les quartiers développe aussi des activités auprès des filles. Dans le cadre d’une action scolaire à Saint-Denis, « nous avons croisé une fille d’1,90 m âgée de 12 ans qui était décriée et harcelée. Par le rugby et sa force physique, elle est devenue une autre personne. Aujourd’hui, elle est une tête d’affiche de l’équipe de France de rugby et notre marraine », s’est réjoui Ronan Appriou, directeur de Drop de Béton.

Accompagner les femmes vulnérables avec une pratique interdisciplinaire basée sur le karaté est la mission de Fight For Dignity, créée par Laurence Fischer, triple championne du monde de karaté, qui a accompagné 5 000 patientes en France : « Elles sont fières de faire une activité qui leur semblait inaccessible, c’est un accélérateur pour travailler sur l’estime de soi, sur leur état d’angoisse et de dépression et sur leur corps. Grâce à la pratique du sport, ces femmes victimes changent de trajectoire comme Sonia qui était sous emprise de son mari a réussi à divorcer et retourner au travail ». 

C’est la rencontre d’un homme à la rue, toxicomane, alcoolique et avec une prothèse à la jambe qui a conduit à la création de Breizh Insertion Sport (2009). La pratique du vélo l’a aidé à reprendre le sport et travailler sur ses addictions. « Nous avons cheminé avec lui pendant 4 ans, il y a eu des évolutions assez incroyables, il a passé un Bafa », a raconté Erwan Godet, directeur de Breizh Insertion Sport. 

Boubacar Koumé est éducateur de rue à Paris dans le 18e. « Nous avons obtenu après plusieurs années un ring de boxe extérieur, a-t-il raconté. Un jeune renvoyé au pays et de retour n’avait plus confiance en lui. Il s’est mis à ce sport de manière assidue et est devenu lui-même éducateur ». 

À la suite de ces témoignages, pour certains émouvants, François Carré, professeur de cardiologie (CHU Rennes) a évoqué l’impact positif de l’activité physique sur la santé des individus, physique et mentale. Le sport pour la santé et le sport contre les précarités poursuivent un même combat contre la sédentarité et l’immobilisme : l’être humain a été conçu pour bouger ! « Nous sommes génétiquement programmés pour faire des activités physiques, on ne peut pas être en bonne santé, si on ne fait pas d’activité (…). La santé est un ensemble complet qui regroupe le bien-être physique, mental et social.(…). Le seul moyen de répondre à ces trois paramètres est l’activité physique ou le sport.(…). Il faut des personnes formées à l’activité physique santé adaptée (…) et la faire entrer dans toutes les grosses associations qui veulent aider les personnes en situation de précarité ».  

Les travaux de recherche en médecine tant sur le plan cardiovasculaire que d’autres maladies comme le cancer. Ceux de sociologie sont plus complexes. « Les travaux actuels visent à contextualiser les bénéfices du sport sur le plan social (…). Mais, il est très compliqué de montrer une évolution durable du comportement, nous manquons de données sur la durée», a souligné le sociologue Julien Puech.

Quels impacts des opérations socio-sport ? 

Les opérations dans le socio-sport sont diverses dans leur approche, leur contenu et leur(s) public(s). Mais toutes témoignent de l’importance de la mobilisation et la coordination entre les acteurs sociaux dans une perspective plus durable. 

Vice-championne olympique et championne du monde de boxe, vice-présidente du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) et de la Fédération Française de Boxe, Sarah Ourahmoune, partage son expérience d’athlète. Elle utilise sa discipline comme outil de développement personnel et d’éducation pour les femmes au sein de son association Boxer Inside et programme Les Puncheuses. La spécificité de chaque promotion est de mixer les profils, seul un tiers des femmes est en situation de précarité.

 « Le vrai succès est l’engagement et le lien qu’elles créent entre elles, a-t-elle indiqué. Quand une d’elles décroche, les copines les ramènent dans ce chemin (…). Ce programme est également un réseau de soutien et professionnel ». Son objectif est de déployer de nouvelles promotions en Île-de-France. 

Vers quelle pratique sportive orienter un jeune en situation de handicap résidant en territoire rural ? La réponse de l’association Dahlir a été d’ouvrir les clubs sportifs aux personnes précaires ou vulnérables et de lever tous les obstacles inhérents à leur pratique sportive. « Nous avons créé un outil de suivi numérique qui nous permet de mesurer l’impact de nos actions et faire évoluer notre dispositif », a expliqué Pierre-Emmanuel Baruch, directeur de Dahlir. 

« Les travailleurs sociaux peuvent s’en emparer pour un accompagnement global (…), a-t-il poursuivi. Le coût de l’outil est très cher (250 000 euros), c’est un choix que nous ne regrettons pas, car tous les financeurs du dispositif y ont accès et peuvent suivre en temps réel les demandes ».

Quant à la Fondation Decathlon mobilisée à travers de nombreux projets, elle mesure l’impact de ses opérations sur plusieurs années. « Nous savons que la vie des bénéficiaires directs de nos 900 projets soutenus (depuis la création) a changé grâce à l’opportunité de faire du sport régulièrement », a exposé Jean-Pierre Haemmerlein directeur général de la Fondation.

L’enseigne affiche avec fierté un projet inclusif au Maroc. Pendant 4 ans, Decathlon a prêté des vélos à 200 jeunes filles pour se rendre au collège puis au lycée, depuis leur village excentré. « Elles ont eu un taux de réussite au bac trois fois supérieur au niveau national (…), s’est réjoui Jean-Pierre Haemmerlein. Il y a 3 ans lors d’une réunion au Maroc, une salariée Siam a pris la parole pour nous dire que grâce à ce vélo, elle avait pu aller au lycée, faire des études, choisir son mari et aujourd’hui elle est responsable du rayon vélo au Decathlon d’Agadir ». 

L’impact social s’évalue également en matière de retour à l’emploi. Azur Sport Santé accompagne chaque année entre 10 et 15 femmes éloignées de l’emploi, souvent victimes de violence et/ou isolées socialement, à travers un programme sport santé adapté à leur reconstruction. « Elles reprennent confiance en elle. Nous coconstruisons avec elles leur projet. Les progrès sont très intéressants entre le début et la fin », a précisé Odile Diagana, coordinatrice générale d’Azur Sport Santé qui a élaboré ce programme avec France Travail. 

Accompagner les jeunes vers le monde du travail est aussi un sujet qui mobilise Sport dans la ville. « Nous utilisons le sport comme un vecteur de remobilisation des jeunes avec du sport tous les jours et une mise en relation avec une entreprise. 4-5 jeunes valident leur recrutement sur des postes de techniciens chez Carglass », a exposé Sonny Nsilulu, directeur du programme Job dans la ville pour Sport dans la ville soutenue par des entreprises privées mais aussi l’État et l’ANS (Agence nationale pour le sport). 

Cette institution publique dispose d’un budget de 400 millions d’euros pour soutenir des structures dans le domaine du socio-sport. Elle gère aussi un budget de plus de 400 millions d’euros pour accompagner la haute-performance et le développement des pratiques à travers notamment des dotations à des projets socio-sport. L’Agence travaille actuellement sur un programme de 5 000 équipements dans les zones les plus carencées à horizon 2027. 

Conseiller développement des pratiques et de l’impact social à l’ANS, Yacine Medjahed constate que maintenant « le monde fédéral et les acteurs du socio-sport travaillent ensemble aujourd’hui (…) ». Néanmoins, il concède que « nous n’avons pas encore la formule pour dire comment ces dispositifs autour du sport permettent de changer des vies. C’est un challenge ! ».

Comment optimiser les projets futurs ? 

Le dernier débat posait plusieurs questions. Ainsi : quel sera le futur du socio-sport ? Comment structurer les projets futurs ? Quel sera le rôle des fédérations sportives, des institutions et des structures ? Comment accéder à des financements ? Autant d’observations et réflexions faisant ressortir la nécessité d’améliorer la coordination et la collaboration des associations entre elles mais aussi avec les fédérations sportives, une volonté politique (ministérielle…), une meilleure reconnaissance du métier d’éducateurs socio-sportifs, une implication plus large des sociologues ou encore une mobilisation des fédérations sportives encore peu engagées. 

À la différence de la Fédération Française de Badminton qui s’est positionnée sur la performance sportive et la performance sociale. « Nous créons les conditions pour que les personnes fragilisées puissent à travers le badminton et un club se développer personnellement. Nous sommes sur le même chemin qu’en sport, a exposé Martine Robert, directrice de la performance sociale de la Fédération française de Badminton qui s’est lancée dans un nouveau projet avec l’association Entourage. 

Le but est de permettre aux personnes sans-abri de recréer un lien social par la pratique physique ou le sport. « Nous avons mis en place des séances découverte de l’activité et notre objectif est d’amener nos adhérents à devenir mentor de personnes sans-abri, » a ajouté Martine Robert. 

Côté institutions, France Travail a pour objectif de mobiliser 10 000 clubs engagés d’ici fin 2024. « Ce projet est un rapprochement entre les acteurs de l’insertion et de l’emploi et le monde associatif avec les clubs de sport, a expliqué Héloïse Gentil. Notre mission est de mobiliser les clubs sportifs autour des actions d’insertion par le sport et de pérenniser le projet ». Chez France Travail elle est directrice des opérations, Les Clubs sportifs engagés France Travail. 

Les enjeux : convaincre le monde sportif sur l’intérêt de la performance sociale, simplifier les démarches pour les clubs et travailler en réseau et avec des entreprises. Plus largement, c’est aussi accompagner les associations qui œuvrent sur le terrain. À l’image de l’ARC-EA qui organise le 22 juin 2024 une journée avec Le Sport a du Cœur dans le 18e arrondissement à Paris autour de trois ateliers sportifs pour des adolescents âgés de 12 à 15 ans.

Post-covid, « nous observons dans les quartiers populaires des signaux de dégradation de la santé mentale des adolescents et des tentatives de suicide dans cette tranche d’âge. Nous allons poursuivre un accompagnement des jeunes sur l’aspect collectif mais aussi individuel », a signalé Charlotte Servelle, chef de service éducatif, ARC-EA (Paris) dont les éducateurs vont à la rencontre des jeunes dans la rue. 

En conclusion, Fabienne Bourdais, directrice des Sports au sein du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques a rapporté « le souci de créer ce que les ministres ont appelé l’alliance de l’inclusion par le sport qui vise à réunir l’ensemble des acteurs pour pouvoir être des vigies de ce qui est engagé en matière d’accompagnement des acteurs de l’insertion par le sport mais aussi créer des emplois ou en tout cas consolider des emplois sociaux sportifs (…).»

« Ce focus sur des postes à dimension sociale et sportive est quelque chose de relativement nouveau avec une ambition assez forte puisque nous sommes dans un objectif de financer 1000 emplois d’éducateurs socio-sportifs dans les clubs situés dans des territoires prioritaires, » a-t-elle poursuivi.  

Pour Benoît Eycken, il y a urgence à développer le sport comme un outil d’insertion « parce que la vulnérabilité galope deux plus vite que l’inflation ». Même si les associations et les projets sont nombreux, le socio-sport reste à développer. Pour cela, il faut « communiquer (…) et faire connaître » auprès du grand public et des différents acteurs les actions et l’utilité du sport pour lutter contre la précarité. (Article sponsorisé)

Par Pascale Baziller
© SportBusiness.Club Avril 2024