Sponsors, Paris 2024 et retraite sportive : le regard du triathlète Vincent Luis

Interview. Ambassadeur du triathlon en France, ses sorties publiques ne passent plus inaperçues. Alors quand Vincent Luis est invité à monter sur scène par son sponsor Cisco, les applaudissements sont nourris. Mercredi 12 octobre 2022, le double champion du monde (2019 et 2020) de la discipline est venu livrer un discours inspirant autour du programme “Génération Champions” lancé par la société spécialisée dans l’informatique et partenaire de Paris 2024. Après quelques photos, le champion Français s’est confié à SportBusiness.Club sur l’engouement des marques à l’occasion de la perspective olympique, son rapport aux sponsors et sa reconversion professionnelle.

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 approchent. Observez-vous un engouement des annonceurs autour de l’évènement ?

Vincent Luis : « Absolument. A titre personnel, j’ai eu plus de sollicitations que d’habitude. J’ai la chance de faire partie des athlètes tête d’affiche d’une discipline. C’est ce que les marques recherchent au moment d’investir sur des profils. Dans le cadre de Paris 2024, je suis ambassadeur de Cisco et d’Orange. On attire le regard de grands groupes c’est très positif mais cela nous donne encore plus de pression. Au-delà de ces accords, je suis sous contrat avec Nike, Oakley ou encore Red Bull. Mais ne nous emballons pas, je reste triathlète. Les accords commerciaux avec les marques ne sont pas aussi volumineux que dans le football ».

Comment choisissez vos partenaires commerciaux ?

V.L. : « J’ai un agent. Il s’occupe de moi et de mes intérêts depuis les Jeux olympiques de Londres 2012. Il est en charge d’un groupe d’athlètes assez restreint dont font également partie Renaud Lavillenie et Loana Leconte. Dans un premier temps, c’est lui qui est approché. Puis il m’expose les différentes offres. Il m’accompagne dans ma décision, toutefois le choix final me revient. Il y a des collaborations que j’ai arrêtées ou que je n’ai pas souhaité faire car elles n’étaient pas en adéquation avec mes valeurs ».

Comme, par exemple ?

V.L. : « Concrètement, il y a des marques de boissons qui m’ont démarché mais je n’ai pas donné suite car, selon moi, elles n’étaient absolument pas en phase avec le mode de vie sain que je prône. Quand j’avais 20 ans, je n’avais pas ce questionnement autour des partenaires privés. Mais aujourd’hui la société a évolué et j’ai pris conscience que je voulais représenter des marques qui incitaient les jeunes à faire du sport et adopter une hygiène de vie garant d’une bonne santé. Il faut aussi reconnaitre que je suis moins dans le besoin d’argent comme je pouvais l’être au début de ma carrière. J’ai ce luxe de pouvoir choisir ».

Quelle est aujourd’hui la répartition de vos revenus ?

V.L. : « C’est marrant car j’avais justement rendez-vous à ce sujet avec mon comptable hier (rires). On a fait le point ensemble. Mes revenus issus de mes performances sportives sont équivalents à ceux issus de mes accords commerciaux. Le triathlon commence à augmenter ses dotations et ses primes sur les évènements. Il y a aussi de plus en plus de courses donc de plus en plus de chance de glaner de l’argent. C’est une bonne évolution car il y a dix ans, c’était impossible d’en vivre, même pour les meilleurs. En cas de longue blessure c’était la fin de carrière assurée. A cette dynamique autour du triathlon, s’ajoute donc l’arrivée des partenaires commerciaux. Cela nous permet d’avoir une tranquillité d’esprit ».

La vie de triathlète est faite de déplacements permanents. Pourriez-vous vivre sans partenaires commerciaux ?

V.L. : « Vous allez très vite comprendre. Mes quatre prochaines courses vont se dérouler aux Bermudes, à Abu Dhabi, en Floride et à Bahreïn : 60 heures de vol en un mois ! C’est donc très mauvais pour la taxe carbone mais aussi pour mon portefeuille… Avoir des partenaires est essentiel car ces voyages seraient impossibles à faire sans eux ».

Combien de triathlètes vivent de leur sport dans le peloton professionnel ?

V.L. : « Je fais la différence entre “en vivre” et “en survivre”. Vivre c’est être confortable et avoir les moyens d’investir dans l’immobilier. Dans le monde, nous sommes seulement 20 ou 25 athlètes masculins dans cette situation, et cela concerne à peine 10 athlètes féminines. Cette inégalité demeure, et cela malgré des primes de courses quasiment équivalentes maintenant. Les marques ne se sont pas encore vraiment penchées sur les triathlètes féminines ».

Paris 2024 pourraient être vos derniers Jeux. Quelles sont vos perspectives pour l’après carrière ?

V.L. : « Si je remporte l’or aux Jeux olympiques de Paris en 2024, j’arrêterai. Ensuite, j’aurai plusieurs options. Par exemple, je pourrais entraîner. En quelques jours je peux avoir une trentaine d’athlètes prêts à me payer pour que je m’occupe d’eux. Néanmoins, je ne suis pas sûr que ce soit ma voie. J’aime beaucoup le développement de produits mais j’ai surtout en tête la création d’une fondation. C’est quelque chose qui me tient à cœur. J’ai cette envie d’aider les enfants qui n’ont pas les moyens ou les clés de découvrir le triathlon ou d’autres disciplines sportives. Je suis habité par la transmission ».

Craignez-vous la retraite sportive ?

V.L. : « Oui terriblement. Ce sera très difficile d’arrêter et même en cas de sacre en 2024 ! Le triathlon m’anime. C’est un mode de vie, une routine. J’ai récemment été blessé deux mois et mes journées étaient sans saveur. Je ne savais pas quoi faire. J’étais perdu. Si demain cela s’arrête, j’aurais du mal à me dire “aujourd’hui je ne fais rien”. Il faudra trouver un projet stimulant, comme pourrait l’être une fondation. Et puis même retraité je continuerais à pratiquer »

Entretien : Titouan Laurent
© SportBusiness.Club Novembre 2022