Par convictions écologistes et humanistes, des supporters des Bleus, acharnés ou moins mordus, ont refusé d’aller au Qatar ou laissé leur télé éteinte. Certains en ont eu des « crampes d’estomac », tous n’ont pas tenu, la plupart retiennent la « fierté » d’avoir porté une voix « minoritaire » mais utile. « Là où j’ai vécu une horreur, c’est l’Angleterre » en quarts, raconte Fabian Tosolini du groupe de supporters Irrésistibles français. « L’affiche est incroyable », avec « une tension réelle et la crainte de ne pas passer. Ça te prend la tête, c’est même physique: j’ai attrapé des crampes d’estomac ».
Parti à son entraînement de handball, un autre fan actif a vécu un calvaire au premier match quand « des potes ont eu la bonne idée de mettre la radio ». Impossible de ne pas entendre les cris, « je l’ai hyper mal vécu, ça me faisait des boules au ventre ». Avec sa fille, il décide de décorer le sapin de Noël à l’heure du match suivant pour ne pas y penser. D’autres prennent la route, vont au cinéma et, parfois, coupent leurs téléphones car ils se font « vanner par des amis ».
Les raisons du boycott ? Pêle-mêle, la construction de stades neufs et climatisés, les morts sur les chantiers et les « passeports confisqués » pour les ouvriers, les conditions d’attribution du Mondial à l’émirat gazier, la criminalisation de l’homosexualité et, aussi, le prix des logements et des billets. « Je boycotte pour des raisons écologiques, humanitaires, liées à tous les scandales au Qatar », résume Laura Pereira, 25 ans, évoquant « la clim’ dans des stades » et les conditions de vie des travailleurs étrangers.
« Plus que le Qatar, c’est plutôt la Fifa qui m’exaspère » avec un Mondial chez un « nouveau riche » à la culture foot quasi-inexistante, affirme Samuel Bouleau, 34 ans. Ce consultant dans l’informatique à Nantes regarde « trois ou quatre matches par semaine » d’habitude, « adore » Lionel Messi et serait « dégoûté » de « louper » le sacre des Bleus dimanche. Mais il va tenir son engagement. Idem pour Laura Pereira qui a choisi « l’ignorance totale » pour parvenir à ne « jamais rentrer dans le jeu ».
Kin-Wai Yuen, qui a plus d’une centaine de matches des Bleus en tribunes depuis 10 ans à son actif, n’a vu « aucune minute de cette Coupe du monde », sans en être troublé: « J’ai compensé avec le travail, à fond. » L’ancien ingénieur reconverti dans la photographie ne sait pas « si ça fera bouger les choses, car ça a été très difficile d’exister médiatiquement face au Qatar et tout l’argent déployé ». Mais il est resté « fidèle à ses principes ». Laura Pereira l’a fait aussi « par principe, et mes principes, je m’y tiens ». « Je sais que mon boycott aura zéro impact », dit Samuel Bouleau, désabusé. « En tout cas je ne le referai plus ».
Les critiques venues du cercle proche ou de certains médias ont touché la plupart d’entre eux. « Que l’action soit jugée extrême, pourquoi pas, mais derrière, il y a les valeurs condamnées qui sont défendables. S’en moquer, sans penser à ceux que qui ont fait ce sacrifice, c’est énervant », déclare le supporter ayant requis l’anonymat.
Lui a finalement renoncé avant la demie, qu’il a regardé avec sa fille: « papa si on gagne on aura les trois étoiles, je veux voir ! », a-t-elle réclamé. « J’ai craqué à la mi-temps » de France-Maroc, avoue aussi Fabian Tosolini, « mais j’étais malheureux, j’ai eu un sentiment de honte quand j’ai regardé la télé ». Il conserve néanmoins la fierté « d’avoir porté, avec d’autres, une voix minoritaire » ayant rencontré un certain écho médiatique, alors qu’il n’a « entendu » aucune ONG, aucun parti ni aucune association de supporters appeler au boycott.
« Je suis content d’avoir mis ma petite pierre à l’édifice » et « je me dis aussi, peut-être naïvement, que le foot ne pourra plus jamais excuser l’inexcusable. Je pense que c’est terminé maintenant ». Pour ce membre des « IF », une chose ne passe pas. « Ce qui m’a le plus insupporté, c’est: +oui mais vous avez été en Russie, pourquoi vous n’allez pas au Qatar? ». « Les gens n’ont pas compris qu’à un moment donné, on peut se dire +stop, c’est trop, là vous avez été trop loin+. Ca veut dire quoi sinon ? On va au Qatar et la prochaine fois, c’est encore pire, et on nous dira +vous êtes allés au Qatar, en Russie, vous pouvez accepter encore plus+. Ça s’arrête quand? ». (AFP)
Antoine Maignan et Jérémy Talbot
© SportBusiness.Club Décembre 2022