Face à l’engouement du trail, la science en quête de connaissances

UTMB

Usure des cartilages, fatigue, niveau de pratique, équilibre entre corps et esprit: autant de paramètres qu’un laboratoire de recherches médicales basé à Grenoble étudie depuis cinq ans pour mieux comprendre l’univers du trail. Le trail, ces courses en milieu naturel, souvent en montagnes, et désormais l’ultra-trail, qui pousse jusqu’aux 170 kilomètres, connaissent un important essor depuis vingt ans, décuplant adeptes et événements. Pour accompagner le million et demi de pratiquants (selon une étude réalisée en mars 2022 par la Fédération française d’athlétisme) et les quelque 2 200 événements annuels, le laboratoire dirigé par le docteur Samuel Vergés s’est penché scientifiquement sur le sujet.

« C’est un sport qui était rare et confidentiel et qui est devenu pas loin d’un sport de masse. Du coup, il y a des publics de plus en plus larges qui pratiquent avec des événements très différents, courts, longs, avec plus ou moins de dénivelé. Il y a donc un besoin de connaissances d’accompagnement au niveau médical, santé, de l’entraînement et au niveau des organisateurs de courses, » souligne à l’AFP Samuel Vergès, directeur de recherche à l’Inserm et à l’Université Grenoble Alpes. Les études se font en majeure partie autour de l’Ultra tour des quatre massifs (Ut4M) alpins, créé il y a dix ans par Sébastien Accarier et pouvant réunir plus de 4 000 participants sur 12 courses (du 20 km au 160 km).

Niveau de fatigue

« Ca ne sert à rien de dire aux gens qu’il ne faut pas le faire. Nous on dit: “si vous voulez le faire, sachez que selon votre profil vous êtes plus ou moins biologiquement adapté, donc soyez plus ou moins prudent; qu’il y a des grosses différences d’adaptation selon les personnes, et puis il y a des signes à connaître pour savoir si l’organisme est en train de bien s’adapter ou pas”, » explique le physiologiste, spécialisé dans les sports outdoor et l’alpinisme. L’étude concerne des coureurs moyens, mais aussi quelques sportifs de haut niveau (“des curiosités qui nous informent jusqu’à quel point le genre humain peut présenter des caractéristiques exceptionnelles”).

« L’année dernière, on a fait une étude spécifique sur les cartilages pour voir à quel point le cartilage des genoux en particulier est en souffrance à l’arrivée. Et les données qui viennent d’arriver sont assez rassurantes sur un ultra-trail, même sur 160 km, on n’arrive pas avec un cartilage HS, » relève le chercheur. « Là, on commence un programme sur deux ans autour de la fatigue, dans une approche plus interdisciplinaire, sur les aspects autour du croisement entre la psychologie et la biologie. On voit une différence importante entre le niveau de fatigue objectif qu’on mesure avec par exemple le muscle qui se contracte moins fort, et ce que nous rapporte une personne donnée en terme de “Je n’en peux plus”, » détaille Samuel Vergés.

« Cette fatigue perçue est importante parce que c’est elle qui va faire qu’on va s’arrêter ou pas, » poursuit le chercheur. L’année dernière, l’équipe s’était déjà penchée sur la fatigue avec des coureurs équipés de capteurs mesurant la glycémie en continu sur le 160 km avec « à terme peut-être la possibilité un jour de conseiller les gens quasiment en direct en fonction de leurs capteurs sur le fait de manger, ne pas manger, etc ».

“Pas quinze ultra-trails dans l’année”

Leurs études ont notamment permis de montrer qu’il est plus fatigant de courir quatre fois 40 km que de faire une course de 160 km, en raison de l’intensité mis dans l’effort. L’équipe de chercheurs s’intéresse aussi aux performances des femmes, “parfois plus adaptées aux efforts en ultra-endurance”, aux facteurs environnementaux majeurs que sont la chaleur et le froid, au paramètre de l’âge. « Aujourd’hui, il y a des gens qui commencent quasiment le sport d’endurance par le trail. On a besoin d’avoir un panorama assez complet de ce que veut dire le trail en termes de performance et de santé pour un public super large ».

Et puis, il y a dans le viseur l’impact sur le long terme de ce sport encore trop jeune pour avoir ce genre de retour. « Aujourd’hui, on ne voit pas un cartilage du genou complétement HS. Mais dans dix ans ? Et on peut quand même parler de blessures de fatigue, de problèmes gastriques, etc, donc on suspecte que potentiellement, il puisse y avoir une certaine usure engendrée par ce genre de course. On ne veut pas du tout être alarmiste mais on aimerait sortir des facteurs de protection et de prévention pour dire: “On ne fait pas quinze ultra-trails dans l’année, il faut prévoir des phases de récupération, certaines pratiques d’entraînement sont délétères potentiellement pour la santé”, », relève Samuel Vergès, ancien biathlète de haut niveau. (AFP).

© SportBusiness.Club Août 2022


Le coup de chaleur, l’autre crainte majeure des trailers

« Il y a quinze ans, on avait un jour de canicule, maintenant c’est tout le temps »: dans la région grenobloise, organisateurs et trailers ont été confrontés à des températures élevées lors de l’Ut4M avec pour crainte majeure le coup de chaleur, qui s’ajoute à l’extrême difficulté de l’effort. Avant le coup d’envoi le week-end dernier (21 au 24 juillet 2022) de l’Ultra tour des quatre massifs (Ut4M) où les températures sont montées jusqu’à 40 degrés, le directeur médical de la course Nicolas Segond était “très inquiet”. « On a rarement vu ça sur Grenoble et les alentours, explique t-il. Ce qu’on craignait, c’est le coup de chaleur à l’exercice qui peut être fatal dans certaines situations ».

A la tête d’une équipe de cinq médecins urgentistes et de cinquante secouristes bénévoles rattachés à l’association des sauveteurs secouristes grenoblois, le médecin a eu à gérer des coups de chaleur dès le premier jour de l’événement. Selon Nicolas Segond, à l’issue de 40 km de course et sur les 874 coureurs partants, 18 participants ont eu un coup de chaleur, 6 ont été perfusés et un a été hospitalisé en soins intensifs. Pour la deuxième journée, l’organisation a choisi de réduire de moitié certains parcours et diffusé des messages de prévention.

« Quand la température corporelle augmente, à 39-40 degrés, on peut avoir une atteinte cérébrale qui se caractérise par un syndrome confusionnel, assure le Docteur. Les patients sont désorientés et souvent, vu qu’ils ont un gros mental, ils se disent: “Je continue”. Alors qu’ils ne vont pas bien. Et c’est là où ça devient très dangereux ».

Prévenir le coup de chaud

Lorsque la température du corps augmente trop, aggravée par la température extérieure, le corps n’arrive plus à réguler et se produit alors une défaillance multiviscérale (touchant tous les organes) et déclenchant une réponse inflammatoire globale. « Les critères de gravité sont les vomissements et les diarrhées et quand les patients sont confus, » indique t-il. Dans les cas extrêmes, les coureurs peuvent tomber dans le coma, ce qui peut conduire au décès.

« Avant que le coup de chaleur n’arrive, il faut bien s’hydrater, se mouiller, rappelle Nicolas Segond. Après une fois qu’on présente les premiers signes du coup de chaleur, c’est-à-dire crampes, maux de tête, vertiges, nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées, il faut s’arrêter, se mettre à l’ombre, s’hydrater, se rafraîchir et demander de l’aide ». Des conseils qui seront de plus en plus à prendre en compte alors que le trail est en plein essor et que la canicule s’installe fréquemment.

Le médecin de l’équipe de France de trail Stéphane Bergzoll tient à alerter : « On peut mourir de la chaleur, affirme t-il. On meurt plus difficilement d’une déshydratation alors que le coup de chaleur d’exercice, c’est grave. C’est le cerveau, le thermostat, qui est déréglé et tous les organes commencent à défaillir. Il y a quinze ans, on n’avait pas ça. On avait un jour de canicule et c’était exceptionnel, maintenant c’est tout le temps, tous les étés. Les gens n’ont pas forcément la notion qu’avec deux heures d’effort ils peuvent faire un coup de chaleur d’exercice. Il faut éduquer ». (AFP)

Par Sabine Colpart

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