Taboue, proscrite en France faute de loi l’autorisant, la reconnaissance faciale a déjà fait une timide et clandestine incursion dans le championnat de France de football, et si les supporters s’y opposent fermement, certains clubs s’intéressent de plus en plus à cette technologie controversée. Le sujet ne délie pas vraiment les langues. « C’est clairement un sujet tabou, mais je peux vous assurer que ça intéresse les clubs, » confie à l’AFP sous couvert d’anonymat le patron d’une société privée de sécurité, qui a notamment travaillé avec l’Olympique de Marseille.
Avec un début de saison mouvementé en Ligue 1, émaillé par de nombreux incidents (jets de projectiles, envahissements de terrain, échauffourées entre supporters…), la question de la sécurité est devenue plus prégnante. Le gouvernement, à travers un courrier des Ministres Jean-Michel Blanquer et Roxana Maracineanu adressé vendredi à la Ligue de football professionnel (LFP), a promis “une réponse forte”, évoquant notamment une réflexion sur la formation des stadiers, mais sans prendre concrètement de nouvelles mesures.
Expérimentations pour Paris 2024 ?
La reconnaissance faciale par vidéo en temps réel n’est pas autorisée dans l’espace public en France. Et si un récent rapport parlementaire remis début septembre au Premier ministre Jean Castex plaide pour plus d’expérimentations notamment en vue de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques de Paris 2024, le sujet reste éminemment sensible. « L’outil est séduisant pour les clubs de football, ça remplace le profilage humain qui peut être défaillant, » assure ce patron. Des logiciels de reconnaissance faciale pourraient par exemple être utiles pour filtrer à l’entrée des stades, et éviter ainsi que des interdits de stade pénètrent dans l’enceinte, « c’est un peu plus compliqué de l’utiliser dans une foule, où les gens se masquent, » explique-t-il.
Il y a plus d’un an et demi, le FC Metz avait été pris dans un tourbillon après avoir testé un tel dispositif lors d’une rencontre de Ligue 1 face à Strasbourg. A cette époque, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait tapé du poing sur la table en adressant un avertissement au club, qui n’a depuis plus retenté le coup. « L’épisode de Metz a clairement refroidi pas mal de clubs, assure Kilian Valentin, un porte-parole de l’association nationale des supporteurs (ANS). Mais on sait que des sociétés privés ont contacté beaucoup de clubs depuis. Maintenant, on ne sait pas où cela en est ».
Pour pouvoir tester la reconnaissance faciale, il faut en effet notamment prévenir la population filtrée, ce qui implique aussi de posséder un fichier avec leurs coordonnées et les photos des personnes. C’est le cas avec les interdictions commerciales de stade (ICS) prononcées par les clubs. « Mais bon, nous sommes résolument contre ce genre de dispositif liberticide, estime Kilian Valentin. Les clubs n’en ont pas besoin. Pour les IDS (interdictions administratives et/ou prononcées par la justice) dans une très grande majorité des cas, il y a une obligation de pointage hors des stades. Les ICS, les clubs sont censés les connaître ».
Rien de vraiment fiable
Se pose également la question de la fiabilité de certains logiciels de reconnaissance faciale. « Il y a un taux d’erreur qui varie entre 80 et 90% dans les pays où cela a été testé, assure l’avocat Pierre Barthélémy. Il y a aussi des biais raciaux ». Pour lui, il serait “inacceptable” d’utiliser un tel outil en l’état. « Il y a des logiciels qui fonctionnent très bien, avec une marge d’erreurs de moins de 0,5%. Ca dépend du prix qu’on met, » nuance cet entrepreneur dans le domaine de la sécurité.
« Il n’existe pas de système de reconnaissance faciale fiable, avec un rapport qualité-prix supportable, » assure de son côté Pierre-Marie Grappin, le responsable de la sécurité de Montpellier, un des rares à évoquer le sujet, preuve que ces logiciels sont donc scrutés par certains clubs de Ligue 1. Malgré les réserves, malgré l’absence de loi, la LFP a toutefois reconnu très diplomatiquement effectuer “une veille technologique et juridique sur le sujet”. Une veille qui risque de prendre de plus en plus de place. (AFP)
Par Cyril Touaux
© SportBusiness.Club Octobre 2021