Le français Sorare, spécialiste des “vignettes Panini” virtuelles lève 580 millions d’euros

Avec une levée de fonds annoncée ce mardi 21 septembre 2021 de 680 millions de dollars (580 millions d’euros), la start-up française Sorare bat un record sur le marché de la “tech” en France. Spécialiste sur la technologie NFT, l’entreprise développe des jeux en ligne d’échange de vignettes de joueurs de football. Sorare, créée en 2018, est désormais valorisée à 4,3 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros), et entre dans le cercle fermé des “licornes” françaises, ces sociétés non cotées valant plus d’un milliard d’euros. Le fond de commerce de la jeune-pousse sont ces joueurs prêts à investir des milliers d’euros dans les cartes virtuelles. Ce jeu est un mélange de “collection Panini”, de “football manager” et de Bourse.

« J’ai été happé direct, explique à l’AFP Julien Bochereau, plus connu sur les réseaux et dans le jeu sous le nom de Kinshu. Je me retrouve à mater un match japonais à 11h00, un belge à 14h00, puis la Ligue 1 le soir et enfin la MLS (nord-américaine) à 4h00 du mat… » Ce journaliste de 36 ans, qui couvre l’industrie des jeux d’argent, regarde tous ces matchs pour suivre les performances réelles des joueurs qu’il a sélectionnés dans ses équipes de Sorare. Chacun reçoit une note sur 100, calculée par un algorithme nourri des chiffres du statisticien Opta. Les notes des cinq joueurs de l’équipe sont boostées par la valeur de la carte, puis additionnées.

« Je n’ai jamais été un grand fan des paris sportifs, qui ont un côté pile ou face, explique Julien Barlier, 25 ans, qui termine ses études de commerce international. Là, on choisit ses joueurs. Tant pis pour toi si tu as mis un joueur blessé, il marque zéro point ». Les cartes sont des jetons non-fongibles (NFT, en anglais), authentifiées par la technologie de la blockchain. Il existe plusieurs échelles de rareté. Les cartes uniques, une par joueur et par saison, donnent les meilleurs bonus. Elles sont vendues aux enchères par Sorare toutes les minutes. C’est là que l’entreprise réalise ses gains. Le record est détenu par une carte unique de Cristiano Ronaldo, vendue 280 000 dollars (240 000 euros).

Un coté chronophage

Ensuite viennent les “super rares” éditées à 10 exemplaires par joueur et par saison, les “rares” (100 exemplaires) et depuis peu les “limited” (1000 exemplaires). Une limited de Lionel Messi au Paris Saint-Germain est partie pour 11 000 euros ce lundi 20 septembre 2021. Il existe aussi une place de marché, où les joueurs peuvent revendre et acheter leurs cartes entre eux. Pour l’heure, Sorare ne touche « aucune commission sur le mercato, mais c’est possible qu’on y vienne ensuite,  » explique à l’AFP Nicolas Julia, co-fondateur de l’entreprise francilienne. Du coup certains joueurs peuvent spéculer, en se méfiant toutefois de la volatilité du cours de la cryptomonnaie Ethérum (ETH), utilisée pour le jeu.

Attention aussi au côté “chronophage”, admettent les joueurs rencontrés. Mais « l’idée n’est pas de bloquer les utilisateurs derrière un écran, » précise-t-on chez Sorare, « mais bien d’interagir autour du sport. Le sport étant dans l’ADN de Sorare, nous allons nous impliquer pour en encourager la pratique, afin que l’émotion procurée par le sport soit autant numérique que réelle ».

«18 000 euros de bénéfice »

« J’ai un pote qui ne fait que du “trading”, il achète des joueurs blessés et les revend avec plus-value », raconte Kinshu. « Moi j’essaie d’avoir les joueurs que j’aime le plus, comme Benzema, mon préféré, » explique Jordan Bozonnet, un des plus gros joueurs. A 26 ans, cet auto-entrepreneur dans le nettoyage annonce fièrement détenir “la galerie Top 65 du jeu”, soit environ 40 000 joueurs détenant au moins une carte payante. Nicolas Julia revendique en tout « un demi-million de joueurs, beaucoup jouent d’abord avec les “common”, les cartes gratuites, en nombre infini ».

Mais jouer à haut niveau coûte cher. Jordan, alias jobznt23, a investi « 6 500 euros entre mai et octobre 2020 et ensuite, j’ai amélioré ma galerie en revendant des joueurs et en gagnant des cartes, confie- t-il. A la revente, j’estime avoir fait 18.000 euros nets de bénéfice« . « Aujourd’hui ma galerie vaut entre 30 et 40 000 euros, explique Kinshu. D’entrée j’ai investi 15 000 euros, et je ne regrette pas du tout ».

Tout cet argent placé sur des cartes virtuelles étonne. « On ne me comprend pas toujours quand je dis que j’ai acheté 1.000 euros un défenseur japonais, Ryuho Kikuchi, en “rare” (100 par saison), défenseur central du Vissel Kobe, raconte Kinshu. Mais il joue tous les matches, n’est jamais blessé, et il a des notes énormes, trois fois de suite il a eu la note de 100/100. C’est mon meilleur joueur ». « C’est une forme d’investissement, résume Leonidas. Personnellement, j’investis je m’amuse et je gagne ».

Par Emmanuel Barranguet
© Agence France-Presse Septembre 2021

Mise à jour, mercredi 22 septembre 2021. Lors d’un colloque, un responsable de Sorare déclare que l’objectif de la start-up est d’en faire « un géant de l’Entertainment dans le sport ».