Concurrence déloyale au petit commerce, contrefaçon, dangers sanitaires et exploitation d’êtres humains: à Paris, avant les Jeux olympiques, les autorités sonnent la mobilisation contre la vente à la sauvette, un phénomène en expansion. En cette semaine de vacances scolaires, les touristes prennent d’assaut l’esplanade du Trocadéro, face à la Tour Eiffel. Plusieurs dizaines de vendeurs de ses versions miniatures, tous africains, les y attendent, leur marchandise posée au sol sur un drap ou tenue à la main via un anneau de ferraille.
Certains visiteurs font le premier pas, d’autres sont abordés à l’occasion d’une photo. Emmanuelle et Fabrice, venus de Bretagne avec leurs enfants, repartent avec une dizaine de babioles pour une vingtaine d’euros. Emmanuelle “sait” que l’achat est illégal, mais le vendeur “était hyper cool, il nous a fait plein de photos”, plaide-t-elle auprès de l’AFP.
« Si tu n’as pas les papiers, tu n’es pas légal, qu’est-ce que tu peux faire d’autre ? On peut pas voler, on va pas vendre de la drogue, » explique un vendeur sénégalais qui refuse de dire son nom. Le jeune homme dit avoir 27 ans, vivre en France depuis huit ans et gagner “des fois même pas 5 euros” par jour, d’autres “30, 40 euros”. « Si tu perds » la marchandise en fuyant la police, « tu reprends à zéro, » explique-t-il. « Des fois, tu n’as pas les moyens pour revenir, tu restes une semaine sans travail. »
Tours Eiffel miniatures, parapluies, sacs et bérets, bouteilles d’eau, alcool: la veille, la police avait saisi une centaine de kilos, moisson d’une petite journée, du côté du Champ-de-Mars qui borde le monument emblématique de la capitale. Depuis début janvier 2023, selon la préfecture de police, 12 tonnes de ces objets ont été saisis dans la capitale, en majorité sur le secteur, où elle mobilise désormais “100 à 200 effectifs tous les jours”, a rappelé sur place le préfet Laurent Nuñez.
Avec des effectifs “multipliés par trois” dans la métropole en vue des Jeux, il promet que “le phénomène des ventes à la sauvette, des joueurs de bonneteau et autres activités délinquantes” sera éradiqué pour l’événement, organisé durant l’été 2024. Ces vendeurs illégaux agissent aussi dans les quartiers populaires du nord-est, où ils proposent cigarettes et aliments. Une “brigade des sauvettes et des contrefaçons”, avec sa vingtaine d’agents, tente depuis 2017 de juguler le phénomène.
Porte de Clichy, dans le nord-ouest de la capitale, les autorités ont présenté récemment un plan d’action contre la vente à la sauvette alimentaire. « Avant, les vendeurs avaient trois variétés de fruits; depuis, ils ont triplé de taille » : Sandrine Choux, déléguée générale de Saveurs Commerce, estime que ce « phénomène parisien s’est amplifié depuis une dizaine d’années ». Elle poursuit : « J’ai des primeurs qui sont en difficulté financière, » estime la responsable de cette organisation de professionnels des fruits et légumes, qui voit des vendeurs à la sauvette « à chaque bouche de métro ».
« Les commerçants sont en train de fermer l’un derrière l’autre, c’est pas normal, » abonde Sarah Bedjaoui, qui évoque les “bagarres” impliquant les cinq vendeurs présents devant son domicile. Outre la “concurrence déloyale”, ce commerce fait le jeu de « filières très organisées qui font de l’exploitation d’être humains », souligne la préfète Magali Charbonneau, directrice du cabinet de Laurent Nuñez.
Pour l’adjoint au maire Nicolas Nordman, la “trentaine d’opérations” menées chaque semaine avec la police nationale permet aussi “d’alerter les consommateurs sur des produits potentiellement dangereux”. La nouvelle amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 300 euros est un atout supplémentaire, car elle peut être “traitée sur le terrain”, sans passer par le commissariat, et permet de “saisir le matériel” et de “continuer la tournée”, souligne un policier.
Reste la question de l’approvisionnement. Le marché de gros de Rungis, au sud de Paris, est pointé du doigt par une source policière, selon laquelle le plus grand marché de produits frais au monde fournit “90% de la vente à la sauvette alimentaire”. « Ces ventes ne proviennent pas du stock, c’est marginal, » réfute Rodolphe Devedija, directeur de la sûreté générale du marché, pour qui l’approvisionnement des filières reste “mystérieux”. (AFP)
© SportBusiness.Club Octobre 2023