Portrait. Triple champion olympique de canoë, Tony Estanguet s’est coulé au fil des mois dans les habits de patron des Jeux de Paris 2024, apprenant à naviguer entre le monde du sport dont il vient et celui de la politique dont il se méfie. « On m’a dit “Toi tu parles anglais et tu connais pas mal d’athlètes” », raconte en riant le champion quand on le questionne sur le parcours qui l’a mené jusqu’à la présidence du comité d’organisation. Une fois remballées ses pagaies après sa dernière médaille d’or à Londres en 2012, le Palois d’origine a d’abord intégré la commission des athlètes du Comité international olympique (CIO).
Une suite logique pour cet athlète biberonné aux J.O. qui raconte qu’en 1988, à dix ans à peine, il se “levait la nuit pour regarder Carl Lewis” avant d’avoir “le déclic” aux Jeux de Barcelone en 1992 où l’un de ses frères, Patrice, était “ouvreur” du parcours. Son frère, justement, remporte une médaille de bronze à Atlanta en 1996 également en canoë. « Dans notre famille, on ne connaissait personne qui avait fait les Jeux. Là, le frangin il l’a fait, ça veut dire que c’est possible, à partir de ce moment je me dis: “C’est mon objectif, je veux aller aux Jeux” », raconte-t-il.
Poussé par Bernard Lapasset
Il faut ensuite y ajouter une transgression fondatrice, dans cette famille de “céistes”, puisqu’il a battu Patrice pour se qualifier pour les Jeux olympiques de Sydney en 2000. S’ensuit une carrière exceptionnelle : trois fois l’or (2000, 2004 et 2012) et un seul “premier gros échec”, à 30 ans aux Jeux de Pékin en 2008. Après le professorat de sport et le marketing à l’Essec, il joue un rôle moteur dans la candidature de Paris, aux côtés de l’ancien patron du rugby français, Bernard Lapasset, récemment décédé. Ce dernier le pousse sur le devant de la scène. Il prendra ensuite naturellement la tête du comité d’organisation.
« Il a une faiblesse par rapport aux politiques, » rompus aux négociations de coulisses et aux coups de becs publics bien sentis, explique un ancien député. Néanmoins, les Jeux approchant, « il est entré dans l’habit de président du Cojo, » juge un élu qui le côtoie régulièrement. S’il semble avoir un peu apprivoisé les politiques, il s’en méfie toujours. « Il n’a pas d’élection lui, il a envie que les Jeux avancent, » dit parfois son proche conseiller Michaël Aloïsio.
Le 14 juillet dernier, devant un parterre de cadres de comités olympiques du monde entier réunis au siège, Tony Estanguet glisse dans son discours qu’il a « encore vu Macron hier ». Si le président “le protège”, croient savoir plusieurs élus, ses relations avec les autres crocodiles politiques, comme la maire PS de Paris Anne Hidalgo, ne sont “pas toujours faciles” affirme l’un deux. Depuis mai 2022, il a maintenant à faire avec la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra.
Changer d’option
Sur le fond, « c’est un animal à sang froid qui sait où il veut aller, » explique un ancien élu. La définition lui va-t-elle ? « Il ne faut pas surréagir, c’est vrai que j’essaie de ne pas monter dans les tours, » explique l’intéressé. A 45 ans, ce VRP en chef des Jeux de Paris 2024 trimballe son enthousiasme et ses “chouette”, “fantastique”, “magique”, “iconique”, sur tous les terrains, baskets Le Coq Sportif, l’équipementier des Jeux, aux pieds.
Derrière le sourire, le “cuir s’épaissit” mais “il sait qu’il va s’en prendre plein la tête”, décrypte un ancien élu. Entre la contrainte budgétaire, la présence ou non de sportifs Russes susceptible d’entraîner un boycott, et tout récemment une perquisition surprise au siège du comité qui laisse planer une menace judiciaire sur ses Jeux, les temps se durcissent. Cet hiver, il a laissé un peu percer d’agacement quand une polémique a surgi sur les tarifications des billets, jugées excessives. Mais ce champion a coutume de dire que l’eau lui a appris à s’adapter.
« S’adapter, cela peut générer beaucoup de stress chez certains. Ne pas contrôler, ne pas maîtriser, moi j’ai grandi avec, devoir me préparer et le jour J ne pas savoir ce que je vais avoir comme mouvement d’eau, décrypte le triple champion olympique. Pendant la course, il faut parfois changer d’option, parce qu’on n’avait pas vu arriver un truc ». A un an des Jeux olympiques et paralympiques, il se peut qu’il arrive encore sans doute pas mal de “trucs”.
Par Déborah Claude – Agence France-Presse
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