L’emprise psychologique et les violences sexuelles dans le sport sont au cœur de Slalom, le premier long métrage de Charlène Favier qui sort mercredi 19 juin dans les salles. L’action du film, qui devait sortir en 2020, se déroule dans l’univers du ski. Lyz, 15 ans, vient d’intégrer une section sport-études. Tout marche bien pour elle. Elle enchaîne les succès mais la jeune fille bascule sous l’emprise de son entraîneur, Fred, un ancien champion. Slalom, sélection officielle au Festival de Cannes 2020, et primé lors du Festival du film américain de Deauville, sort à une période où les accusations de violences psychologiques et sexuelles dans le sport ne sont plus des sujets tabous.
Slalom, un film de Charlène Favier, 1h32, en salle mercredi 19 mai 2021.
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3 questions à Charlène Favier, réalisatrice*
Comment est née l’idée du film ? Est-ce autobiographique ?
Charlène Favier : « A l’adolescence, j’ai subi des violences sexuelles dans le milieu du sport. Comme beaucoup de victimes, j’ai intériorisé pendant de nombreuses années. J’ai construit ma vie professionnelle autour de la création et je me suis épanouie à travers la photographie, le dessin, le théâtre et le cinéma. Je n’avais jamais pensé que mon premier long métrage parlerait forcément de ce qui était enfoui au plus profond de moi. Pourtant, la nécessité de dénonciation a fait son chemin pour finalement éclore sur les bancs de la Fémis où j’ai écrit les premiers lignes de ce scénario. Mais là encore, je ne m’autorisais pas à affirmer l’aspect autobiographique du projet. Car ma véritable histoire n’était pas dans le ski. Lyz n’est pas moi, ni sa famille la mienne, ni Fred mon agresseur. Mais le film est irrigué de mon histoire personnelle. J’avais un besoin fort de transposer dans un autre milieu sportif. J’ai choisi le ski avant tout parce que j’ai grandi à Val d’Isère où dès mon plus jeune âge et jusqu’à mes 16 ans, ma vie n’était faite que d’entraînements et de championnats. Un corps qui souffre encore et encore, pour échapper parfois aux lois de la gravité me semblait beau et nécessaire à filmer. Ensuite, cette montagne me fascine et m’effraie à la fois. Elle m’offre un cadre naturel d’une beauté intense pour ce drame intime ».
Les scènes de compétition de ski sont impressionnantes. Cela a dû être un vrai challenge à filmer…
C.F. : « Nous nous sommes donnés les moyens techniques nécessaires aux scènes de courses et de skis : utilisation d’un drone, d’un cadreur spécialisé pour les descentes… Et puis la Fédération Française de Ski nous a permis de nous greffer à de vraies courses, ce qui nous a fait bénéficier de l’atmosphère électrique de ces évènements sportifs internationaux ! La musique et les sons de ski dans les courses ont notamment permis de créer l’atmosphère mentale de Lyz dans ces moments intenses. Pour ces séquences, nous avons testé beaucoup de choses car il ne fallait surtout pas donner l’impression d’une captation sportive classique. Le cadreur sur ses skis et l’assistante caméra sur la motoneige se sont tous deux lancés à vive allure dans les pentes abruptes à la poursuite ou devançant les mouvements de la skieuse. L’idée était de capter le ski à travers Lyz de manière organique et émotionnelle, créant de la sorte une impression d’apesanteur et de vertige. C’est aussi le « cahier des charges » que j’ai transmis à LoW Entertainment, groupe expérimenté dans la musique de film (cf leur bio) et qui m’a proposé des morceaux que j’ai trouvé très inspirés, à la fois aériens et venant rythmer les scènes ».
Diriez-vous qu’il s’agit d’un film engagé et si oui, dans quel sens ?
C.F. : « Oui. Évidemment ! J’assume que les violences faites aux femmes est un territoire vaste, complexe et intime que l’on ne peut pas réduire à un seul schéma. J’ai d’abord écrit ce film pour ouvrir le débat, faire réfléchir, puis la nécessité inconsciente de dénonciation a fait son chemin, jusqu’à devenir l’engagement principal du film. En écrivant, je voulais briser la loi du silence, car dans le sport, les abus et les agressions sexuelles sont le sujet tabou par excellence. Les faits se susurrent mais reste le plus souvent à l’état de confidences. La prise de parole puis la dénonciation, sont des étapes très personnelles, et l’écriture de ce scénario a exorcisé beaucoup de choses en moi. Cependant, Slalom n’est pas une réponse épidermique, ni un plaidoyer, c’est un voyage intime et sensoriel. A la fin de mon écriture, j’ai entendu l’ancienne ministre des sports, Laura Flessel, déclarer : “Non, il n’y a pas d’omerta sur le harcèlement sexuel dans le sport”. J’ai été frappée par le déni dont faisait preuve la ministre et je suis aujourd’hui certaine que ce genre de déclaration enfonce les victimes dans le silence et convaincue de la nécessité de mon film. Quand je lis les témoignages glaçants et saisissants de Sarah Abitbol dans Un si long silence ou de Vanessa Springora dans Le consentement, je comprends qu’il faut que la parole se libère quelle que soit le moment. Aujourd’hui, c’est pour toutes ces raisons que je ressens plus que jamais l’envie de me battre pour que Slalom rencontre son public »
(*) Extraits du dossier de presse de Slalom